C’est en 1921 qu’Ivo Franck débarqua à Budapest. Une moustache démodée et agressive barrait son visage de conspiratrice. Pendant la guerre, Franck avait soutenu, contre ses compatriotes croates, la cause austro-hongroise et allemande. Après la guerre, il avait lutté, de toutes ses forces, contre le jeune Etat yougoslave. Le gouvernement de belgrade venait de décider son arrestation. Il se réfugiait à l’étranger pour offrir ses services aux pires ennemis de son peuple: aux irrédentistes magyares.
Il eut de l’argent, de faux papiers. Il put se rendre clandestinement à Zagreb et, la, au cours de réunions secrètes à l’Hôtel des Trois Corbeaux, recruter quelques précieux auxiliaires. Ante Pavelitch était le plus précieux.
Un jeune avocat sans cause est rarement satisfait de l’ordre établi. Pavelitch détestait l’Etat yougoslave. Mais, à son ressentiment personnel et matérialiste, il ajoutait une bonne dose de mystique: lecteur acharné de Nietzsche, de Rimbaud, de Schopenhauer, il rêvait d’actions d’éclat, de luttes héroïques…
C’est lui que Franck chargera de créer un parti croate nettement séparatiste, en rupture déclarée avec les méthodes opportunistes – tour à tour démagogiques et prudentes – de ce Stéphan Raditch qui, leader populaire et tout puissant de la paysannerie, venait de reconcilier avec le gouvernement de Belgrade et d’y entrer en qualité de ministre de l’Agriculture, après avoir, pendant cinq ans, réclame l’autonomie de la Croatie.
Pavelitch combattit violemment Raditch qui n’hésita pas à le traiter d’ “agent de l’etranger”. Mais il n’eut aucun succès auprès des masses. C’est de justesse qu’il parvint a se faire élire député de Zagreb – seul député de son parti. A la Skupstina, il prononça quelque discours romantiques et incendiaires que les autres députés ecouterent d’une oreille distraite.
– Pavelitch? disait Raditch, dans la politique sérieuse, ça ne compte pas. Le révolutionnaire ne parvenait point, dans le cadre étroit des luttes parlementaires, des intrigues de couloirs, à réaliser son destin.
Quand, en 1928, les choses changèrent brusquement.En pleine séance de la Skouptchina, des coups de feu crépitent. Un depute nationaliste serbe tirait sur Raditch. Il l’atteignit, le coucha dans le sang. La mort du leader croate provoqua, dans le pays, une effervescence sans pareille. La machine parlementaire cessa de fonctionner normalement. La rupture du parti Raditch avec la Serbie était consommée. On se battait dans les rues. Dix-huit partis se disputaient rageusement le pouvoir. L’ “homme de la rue”, affolé, ne savait plus à quels saints se vouer. Pour couper court à toute cette agitation, le roi Alexandre fut amené, le 6 janvier 1929, à abolir provisoirement la Constitution, à dissoudre les partis politiques et à décréter l’arrestation des meneurs les plus troublants, parmi lesquels Pavelitch.
A son tour, celui-ci se réfugie en Hongrie. D’agitateur, de rhéteur, il devint conjuré et terroriste. Enfin, il avait trouvé sa véritable vocation, l’homme à la pensée inquiète!

Il eut d’abord l’idée d’une insurrection armée. Un de ses lieutenants, Grychatch, se rendit à Berlin, où il parlementa avec Manfred von Killinger, représentant des nazis allemands (qui n’étaient pas encore au pouvoir). Il s’agissait d’obtenir l’assistance d’Adolf Hitler pour un coup de main dont l’intrusion en Croatie d’un “corps franc”, commandé par des instructeurs allemands, devait être le prélude. Hitler promit son appui, mais, pour des raisons encore obscures, cet extravagant projet fut abandonné. Et c’est alors que se forma “le noyau terroriste” de Yanka-Puszta, relique slave du “carbonarisme” napolitain.
Yanka-Puszta? Une petite ferme hongroise, perdue dans la brousse, d’aspect sauvage et romantique, enveloppée de brumes, à 9 kilomètres de la frontière yougoslave. Pavelitch y réunit les plus décidés parmi les émigrés croates. Ils prirent le nom d’oustachi, defenseurs de l’Oustava, du Droit. Mais cette défense du Droit, ils entendirent d’une façon étrange et sanglante. Chaque semaine, l’un d’eux retournait clandestinement dans son pays natal pour une bombe ou pour tuer un adversaire politique.

L’assassinat du journaliste Schlegel, directeur de “Novosti” de Zagreb, inaugura une longue serie de crimes dont il est difficile de dire la melodramatique horreur. Des engins explosèrent dans les trains, des églises brûlaient, des policiers et des politiciens s’affaissaient, morts dans leurs bureaux; des casernes étaient dynamitées, des ponts sautaient…Un seul cerveau – celui d’Ante Pavelitch – dirigeait ces diaboliques opérations, cette terreur qui se faisait toujours plus acharné, plus violente, à mesure que les séparatistes perdaient leurs dernières chances, la sage politique du roi Alexandre portant ses fruits et le peuple croate se réconciliant sincèrement avec ses frères serbes.